La terre est devenue une monnaie courante pour les grands investisseurs

Comme les matières premières, la finance, l'assurance, l'immobilier et les produits manufacturés, la terre est devenue une matière cible des grandes multinationales du Nord pour en faire un relais de croissance. Conséquence : les pays du Sud tombent dans le piège du "land grabbing".

par Tsirisoa Rakotondravoavy


L'ONG internationale Oxfam, une confédération de 17 groupes non gouvernementaux, a décidé le 07 février 2013 d'occuper des monuments célèbres dans plusieurs villes du monde. Ses militants ont ainsi pu médiatiser un sujet qui commence à préoccuper actuellement les institutions et les gouvernements : l'accaparement des terres par les multinationales. Les chiffres que l'ONG Oxfam avance, frôlent le scandale : en dix ans, 79,9 millions d'hectares de terres, la plupart appartenant à des Etats souverains, ont changé de mains, et ces terres auraient pu nourrir plus d'un milliard de personnes par an, et tout en évitant des expropriations de paysans qui s'y trouvaient depuis plusieurs décennies dans plusieurs cas.

Actuellement, ces terres appartiennent à des multinationales qui spéculent sur la valeur propre des surfaces occupées mais aussi sur la valeur des exploitations qui s'y opèrent : colza, maïs OGM, riz OGM, jatropha, ...
Des matières qui certes font tourner l'économie mondiale en fournissant les demandes croissantes en nourriture et énergie pour les grandes économies du Nord et d'Asie, mais surtout qui ne présentent que très peu de bénéfices pour les expropriés et les gouvernements des terres occupées.

Le cas de Madagascar


On ne reviendra plus sur le cas Daewoo qui a coûté cher au gouvernement précédent à Madagascar mais qui a éveillé en 2008 les soupçons des ONG internationales. Ce dossier est à l'origine de la création du Collectif Tany ( > www.terresmalgaches.info ) à Madagascar, une ONG qui dénonce l'accaparement des terres sur la grande île. L'affaire Daewoo est d'ailleurs encore comptabilisée par Oxfam et Cirad dans leurs statistiques sur les 1,3 millions d'hectares engagés à Madagascar.
Une affaire retient l'attention d'Oxfam : le projet Biomasse Biocarburant d'Ihorombe initié par le groupe italien Tozzi Green.

Le cas d'Ihorombe avec Tozzi Green exploitant 100.000 hectares de plantations destinés au biocarburant comme la culture de jatropha, vient de défrayer la chronique dans la presse locale malgache, ramenant à la création de plusieurs groupes locaux dénonçant les pratiques de Tozzi Green et ses rapports avec les habitants de la région. Des ONG européennes ont déjà mis en garde les gouvernements en Afrique subsaharienne sur les dégâts constatés sur les terres où l'on a cultivé le jatropha : le sol reste stérile des années après la culture de jatropha dont l'exploitation aurait besoin de plus du quintuple de la demande en eau annoncée par les exploitants, ... Actuellement, Tozzi Green occupe à Satrokala dans l'Ihorombe plus de 2.000 hectares sur les 7.000 hectares accordés et le projet prévoit d'exploiter à terme, rappelons-le, 100.000 hectares. Un bail emphytéotique de 25 ans aurait été accordé au groupe italien par le gouvernement.
Seulement 170 employés permanents et 2.000 saisonniers sont bénéficiaires directs de ce projet et sont payés à 1,80 euros par jour. Les villages voisins se sont regroupés pour alerter le gouvernement avec le Collectif Tany car le retour sur les avantages sociaux promis par Tozzi Green ne sont par à la hauteur de leur promesse. Le Collectif Tany a lui aussi agi dans un communiqué à la date du 31 janvier 2013 dénonçant les pratiques actuelles (> http://www.facebook.com/TANYterresmalgaches ).



Agissements liés à la dérégulation de la finance internationale


L'accaparement de terres dans les pays dits "fragiles" est un phénomène logique pour l'économie mondiale. Les groupes et multinationales, qui ont des chiffres d'affaires cent fois plus importants que les PIB des pays en développement ou sous-développés, cherchent en permanence des relais de croissance. A cause de la crise financière, de la récession de l'économie mondiale et du manque de terres en Occident, où les prix des terres qui sont très élevés, ces groupes sont obligés de prospecter dans les autres pays et auprès de certains gouvernements qui sont complices du "land grabbing". Le placement financier ne rapporte plus dans les pays du Nord et le secteur de l'immobilier est en berne. Les grands groupes européens et américaines se méfient des investissements qui ont rapport avec les affaires des "subprimes" et des crises financières successives dues à la dérégulation de la finance mondiale. Les réformes tardent à venir et les gouvernements occidentaux qui sont actuellement en difficulté avec des croissances en berne, peinent à renflouer les caisses des grands groupes comme Boeing, General Motors, Renault, ...

Madagascar et le Mozambique rentrent dans cette catégorie des gouvernements fragiles . Le Mozambique a permis dernièrement à des groupes mauriciens et indiens d'y cultiver du maïs et du riz hybride par centaines de milliers d'hectares pour le marché asiatique. A cause de la faiblesse de leur économie, plusieurs pays subsahariens sont toujours à la recherche d'investisseurs étrangers pour soutenir l'économie locale où seul l'IDE, investissement direct étranger, tire la croissance avec le tourisme et les télécommunications. Ce phénomène est appelé par le secrétaire général de la FAO Jacques Diouf  "le néo-colonialisme agraire". L'ONG Oxfam a demandé officiellement à la Banque Mondiale de geler toutes les opérations foncières de ce genre et de faire adopter des textes plus équitables et plus justes sur l'exploitation des terres dans le monde.

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