Enquêtes sur Madagascar Oil en Suisse et au Panama à la demande du Guatemala

Alejandro Sinibaldi, ex-ministre des Communications, de l'Infrastructure et du Logement du Guatemala, recherché lors d'une vaste enquête internationale menée en Suisse et au Panama par l'OFJ. 



Journal de l'Economie | Tsirisoa Rakotondravoavy | OFJ Suisse

BERNE - 09/04/2017 - Rien ne semble avancer pour Madagascar Oil S.A. Contre toute attente, la compagnie vient de se retirer des prétendants à l'appel d'offres pour fournir du fuel aux centrales de la Jirama, la compagnie nationale d'électricité et d'eau de Madagascar. La base opérationnelle de Madagascar Oil à Tsimiroro, qui enregistre au début 2017 un stock de 160.000 barils de fuel lourd, est pourtant productive depuis octobre 2016 et les analystes ont placé la compagnie comme favorite pour fournir la Jirama. Le communiqué de Madagascar Oil S.A destiné aux médias malgaches a expliqué que les termes de l'appel d'offres n'acceptent pas l'intégration conjointe de partenaires dans son offre. 

Mais une seconde information, totalement ignorée du public, fait office d'enquêtes internationales conjointes menées depuis 2016 par le Ministère public du Guatemala et l'Office Fédéral de la Justice (OFJ) de la Suisse sur deux sociétés d'apparences distinctes : Madagascar Oil Company Inc. basée au Panama et Madagascar Oil Limited enregistrée aux Bermudes, cette dernière étant la maison mère de la filiale malgache Madagascar Oil S.A et celle de l'île Maurice.


Pour situer l'affaire dans le contexte financier international, le rapport Panama Papers publié régulièrement par l'ICIJ (International Consortium of Investigative Journalists) entre 2013 et 2016 a inscrit des noms provenant de Madagascar dans sa liste. L'ambiance délétère sur le secteur financier de la Grande Île y est mis en évidence avec les trafics perpétrés depuis des décennies : or, animaux et plantes endémiques, bois de rose et blanchiment d'argent vers les paradis fiscaux. Mais le résultat de ces dernières enquêtes associent deux éléments inattendus : le Guatemala et Madagascar Oil.

"Cooperacha" au Guatemala

Comme les Etats-Unis, la France, l’Espagne et l’Argentine, le Guatemala vient de s'ajouter à la liste de pays menant des actions pour lever le secret bancaire suisse. Ce pays mène une enquête sur une vaste affaire de corruption dénommée Cooperacha où plusieurs anciens ministres du président Otto Pérez Molina sont accusés de blanchiment d'argent et d'association illégale. Selon la Commission internationale contre l'impunité au Guatemala (CICIG), entre 2012 et 2014, ces anciens ministres encartés au Parti Patriote (PP) auraient détourné des fonds publics pour offrir des cadeaux de luxe à l'ex-président Otto Pérez Molina, emprisonné en septembre 2015 pour corruption, et sa vice-présidente Roxana Baldetti. L'enquête inscrit clairement "une maison sur la plage, un immeuble et un hélicoptère, des yachts et des voitures de luxe". 

L'enquête de l'OFJ attire l'attention sur deux anciens ministres fugitifs, mis en examen en 2016 : Alejandro Sinibaldi, ancien ministre des Communications, de l'Infrastructure et du Logement et l'ancien ministre de l'Energie et des Mines, Erick Archila Dehesa. Le Guatemala a saisi Interpol et procède actuellement à un mandat d'arrêt international sur ces deux ex-ministres. Le premier, qui possède une nationalité italienne, pourrait être en Europe mais les derniers renseignements l'auraient localisé en Inde. Le second vit encore dans son appartement sur la baie de Key Biscayne à Miami, où la justice américaine l'a arrêté et relâché, pour une question de visa expiré. Erick Archila Dehesa est encore libre car les procédures montrent des failles pour son arrestation et son extradition des Etats-Unis.

A la demande de Marco Antonio Villeda, procureur au Guatemala, l'OFJ a fait saisir des comptes suisses d'Alejandro Sinibaldi dont un est crédité de 7,5 millions d'euros (8 millions de francs suisses). Les banques Crédit Suisse et Santander Suisse y sont mises en cause mais refusent tout commentaire. Le 11 janvier 2017, la Cour de justice de la Suisse a saisi et gelé par ordonnance tous les comptes de Sinibaldi. Selon les informations diplomatiques échangées entre la Suisse et le Guatemala datées du 03 janvier 2017, l'OFJ a commencé à fouiller sur la provenance des fonds qui alimentent ces comptes. Des sociétés reviennent régulièrement sur la liste des débiteurs des comptes d'Alejandro Sinibaldi : Andavila Corp., Calatraba Holding Inc., Madagascar Oil Company Inc., Bombay International Inc. et Konto Bei. Les enquêteurs de l'OFJ se sont concentrés sur Andavila Corp. et Madagascar Oil Company Inc au Panama.

La piste Andavila Corp.

Andavila Corp. est une société enregistrée au Registre du commerce du Panama le 06 février 2007 par le notaire César Ernesto Diaz Espino, dirigée par 9 administrateurs. Deux d'entre eux, Mariela Cristi et Eligio Rodriguez, ont permis d'établir des liens avec deux autres sociétés, basées cette fois-ci aux Bahamas : Premium Investors Inc. et Management International & Trust. 

Mariela Cristi, administratrice chargée du secrétariat et du procès verbal du Conseil d'administration d'Andavila Corp., et Eligio Rodriguez, tresorier, sont aussi présents dans le "board of directors" de Premium Investors Inc. et Management International & Trust. Ces deux dernières sociétés ont pourtant établi des "liens financiers suspects" avec 196 entreprises et sociétés écrans enregistrées au Panama et dans d'autres îles des Caraïbes depuis le milieu des années 1990. Mariela Cristi et Eligio Rodriguez sont également liés par contrats aux sociétés Morgan Roche & Transport Mining Consultants Ltd., enregistrée aux Bahamas, dans la base de données du Panama Papers de ICIJ. Cette entreprise est à son tour liée à Stern Management Corp. et L and L Corporate & Legal Services Ltd, mises en causes directement dans plusieurs affaires de blanchiment d'argent dans les paradis fiscaux. Par ailleurs, ces informations ne sont nullement étrangères au cabinet Mossak & Fonseca, origine des données des Panama Papers, et du cabinet Vallarino, Vallarino & García Maritano, agent représentant ayant enregistré la constitution de Madagascar Oil Company Inc. au Panama.

Madagascar Oil Inc. sous la loupe de l'OFJ

D'après le procureur fédéral suisse, Urs Kohli, chargé du passage au peigne fin des comptes d'Alejandro Sinibaldi, deux sociétés sur plusieurs autres sociétés détentrices de comptes en Suisse liés à ceux de l'ex-ministre ont été formellement identifiées : Medias Intercontinental Structures SA et Madagascar Oil Company Inc. 

Jusqu'à présent, le fugitif Alejandro Sinibaldi avance la présomption d'innocence, à travers son compte Twitter. Il est vrai qu'il n'est pas nommément présent dans ce vaste circuit financier mais pour la Justice suisse, il en demeure le bénéficiaire final à la lecture de ses comptes bancaires.

La mise en examen de Carlos Strah Castrellón, notaire ayant constitué dans le Registre du commerce du Panama la société Madagascar Oil Company Inc. a permis aux enquêteurs de mettre en lumière les liens réfutés par Sinibaldi. Les liens ont été établis entre la société de droit panaméen et Alejandro Sinibaldi, à travers des paiements facilités par le compte suisse de Madagascar Oil Company Inc.

Mais une autre information capitale, non moins troublante, a également pu être remontée sur les documents officiels liant les sociétés Madagascar Oil Company Inc. basée au Panama et Madagascar Oil Limited basée aux Bermudes. Après une levée de fonds de 60 millions de dollars auprès de fonds canadiens et américains, cette dernière a été gérée de 2006 à 2009 par Alejandro Archila Dehesa, lui-même frère de l'ancien ministre fugitif Erick Archila Dehesa. L'OFJ se concentre également sur d'autres échanges financiers qui auraient pu se passer à l'époque où Madagascar Oil Limited, qui coiffe toujours la filiale malgache Madagascar Oil S.A, et une autre filiale basée à l'île Maurice.

Il faut noter que depuis 2016, Madagascar Oil Limited ne fait plus partie de la liste des sociétés cotées sur AIM (Alternative Investment Market - marché alternatif) du London Stock Exchange (LSE), d'autant que son siège se trouve actuellement à Hamilton aux Bermudes. Les achats, ventes et échanges d'actions de Madagascar Oil Ltd sont actuellement gérés au Royaume-Uni par BritDAQ, qui a émis en avril 2016 une note aux actionnaires de s'inscrire dans le registre Gold Member of BritDAQ, sous la tutelle de la Bermuda Monetary Authority (BMA). 

Tout ceci rend le travail des enquêteurs très complexe à cause du manque de transparence des informations financières après la dernière publication de 2015 qui fait office de résultat net négatif de 11,3 millions de dollars, avec une trésorerie de 13,8 millions de dollars et un chiffre d'affaires de zéro en 2014.

Résultats de Madagascar Oil Ltd en 2014 (ZoneBourse)
Si les actionnaires de Madagascar Oil Company Inc. sont inconnus à cause de l'opacité régnante au Panama, à la dernière mise à jour du 17 mars 2016, les principaux actionnaires de Madagascar Oil Ltd aux Bermudes sont : BMK Resources Limited (ex-Benchmark Advantage Fund Ltd) à 35,02%, Outrider Management LLC à 28,11%, SEP African Ventures Limited (ex-Persistency Capital LLC) à 19,22% et le milliardaire John Paul Dejoria représenté par J.P Dejoria Family Trust à 9,84%. 

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