Après le crash d'Air Algérie, les familles de victimes en zone de guerre au Mali

Reaper opérant dans le cadre de l'opération militaire Barkhane dans le Sahel.
Crédit : Armée de l'Air française
Reportage à Ouagadougou (Burkina Faso) : Nicolas Marmié / Journal de l'Economie
Sur le tarmac de l'aéroport de Ouagadougou, l'ambiance est fébrile, presque tendue. A 21h00 ce 20 avril , il fait déjà nuit noire depuis longtemps et le thermomètre affiche encore 45 degrés. On attend l'Airbus A 340 de la République française avec à son bord 130 membres des familles des victimes du crash du vol AH5017. C'était le 24 juillet dernier. Il n'y a eu aucun survivant sur ce vol opéré par Air Algérie entre "Ouaga" et Paris. Bilan: 116 morts dont 54 Français.
Devant la porte d'arrivées, un quinquagénaire, blanc et râblé, s'impatiente. L'avion a du retard et les services de sécurité burkinabées, qui sont sur les dents, lui refusent l'entrée de l'aérogare. Installé à Bobo-Dioulasso, il a perdu sa soeur Fabienne, longtemps résidente à Oletta (Haute-Corse) dans l'accident. "C'est une honte de nous interdire l'entrée, encore un coup de l'ambassade de France", peste le Français. Enfin, l'avion affrété par la présidence de la République se pose avec 45 minutes de retard. Fin du suspense, les parents et amis des victimes venus de France peuvent enfin étreindre les parents et amis de Ouagadougou. Rires, larmes, la lourde ambiance qui pesait sur l'aérogare laisse place à la joie des retrouvailles. Mais la tension reste palpable car maintenant il s'agit d'aller "en zone de guerre", selon l'expression d'un militaire français. Les familles de victimes, reçues lundi à l'Elysée par François Hollande ont encore beaucoup d'émotions à vivre. Hier (mardi), sous haute protection de l'armée française, elles se rendent sur les lieux  du crash pour se recueillir à une centaine de kilomètres au sud-ouest de Gao, au Mali. Pour la première fois dans l'histoire de l'aviation civile internationale, une "cérémonie mémorielle" selon l'expression consacrée par l'Elysée est organisée dans une "zone de guerre". Malgré les succès de l'opération Serval, qui a permis à l'armée française de briser en 2013 l'offensive des rebelles islamo-touaregs sur Bamako, la situation est redevenue chaotique dans le Nord Mali. La ville de Gao, il y a encore peu capitale d'étape du Paris-Dakar, est presque encerclée par les rebelles. La Mission des Nations-Unies au Mali (MINUSMA) qui a pris le relais des forces françaises pour assurer l'unité territoriale du Mali semble complètement dépassée. Les islamo-touaregs, qui refusent de signer la paix multiplient les coups de force en attaquant les convois de la MINUSMA. Alors, pour accompagner ces familles endeuillées dans cette zone écrasée de soleil et infestées de rebelles, l'armée française a mis les grands moyens. Transfert vers Gao en avion de transport de troupe de l'armée de l'air, forces spéciales, légion étrangère, acheminement en hélicoptère militaire, Caïman NH 90 (Eurocopter), Cougar et Puma vers le site du crash entièrement sanctuarisé par les forces françaises. "C'est surprenant, nous avions imaginé que la zone avait été entièrement nettoyée par les enquêteurs mais j'ai vu de nombreux débris métalliques parsemé de déjections animales, ce qui veut dire que la surveillance a au moins été levée pendant quelques temps" s'étonne une jeune femme française originaire du Rhône-Alpes qui a perdu perdu plusieurs membres de sa famille dans le crash. Selon le B.E.A, appuyé par l'IRCGN (Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale à Rosny-sous-Bois), les conclusions de l'enquête semblent pourtant formelles: le crash est accidentel, dû à une erreur de pilotage. Les deux pilotes, de nationalité espagnole, auraient omis d'activer manuellement les dégivrages des sondes anémométriques entraînant une baisse de régime moteur et un brutal décrochage du MD83 (DC.9) qui a percuté, de nuit, le sol en piqué à plus de 700 km/h moins d'une heure après son décollage de Ouagadougou. Sur la zone du crash, les 120 parents des victimes, d'une douzaine de nationalité différentes, ont été sécurisés par 300 militaires français et maliens, un hélicoptère de combat Tigre "armé jusqu'aux dents" et au moins un Drone (Reaper) commandé depuis Niamey (Niger). "Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'on se sentait en sécurité pour faire notre deuil", rapporte un jeune ressortissant belge aux faix airs de Tintin.
"On a passé une étape, maintenant on respire", se satisfait Alain en louant la diligence, l'efficacité et "l'humanité" des autorités françaises dans leur accompagnement. Une efficacité qui a rimé avec la plus grande discrétion, voire le secret, pour des raisons de sécurité. Aucun journaliste français n'a officiellement été autorisé à se rendre à Gao. Une "zone de guerre" dont l'accès est désormais interdite de facto aux médias occidentaux alors que les négociations de paix entre les autorités maliennes et les rebelles sont dans l'impasse. Et que les militaires étrangers de la MINUSMA continuent de se faire tirer comme des lapins; semaine après semaine.

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