Madagascar - Conférence des bailleurs à Paris en 2016 : le piège de la dette ?

Les partenaires techniques et financiers de Madagascar et des patrons de grands groupes malgaches à la Conférence des bailleurs et investisseurs à Paris en 2016 


Journal de l'Economie | Tsirisoa Rakotondravoavy | Analyses : Hery Ramiarison

ANTANANARIVO - 20/01/2017 - Dotée de 10 milliards de dollars, somme pré-annoncée par le gouvernement malgache bien avant la rencontre des bailleurs, la levée de fonds engagée par Madagascar à la Conférence des bailleurs et des investisseurs à Paris a apporté plus que les attentes des dirigeants. Déjà crédité de la bonne tenue du Sommet de la Francophonie à Antananarivo, Madagascar a bénéficié d’une visibilité internationale positive doublée d’une stabilité politique relative, chère aux investisseurs. Mais ces fonds sont accompagnés de conditions engageant la capacité d’absorption et de gouvernance de grands projets de développement suivant un calendrier de décaissement encore flou.

Une promesse de 10 milliards de dollars sur quatre ans. Hery Rajaonarimampianina, Président de la République, s’est félicité de ce bon résultat lors de la Conférence des bailleurs et investisseurs à Paris. Les sommes obtenues des bailleurs de fonds rentrent en effet en ligne avec les demandes formulées il y a quelques mois par le gouvernement malgache pour financer les projets de développement de la Grande Île. Un mois après ces rencontres avec les financiers internationaux, le pays fait actuellement face à un ensemble d'enjeux qu'il faudra résoudre sur plusieurs fronts pour transformer ces fonds en investissements concrets pour l’économie malgache et la population.

L'un des principaux partenaires de Madagascar, l'Union européenne, s’est exprimé en amont et a annoncé le décaissement d’une enveloppe de don de 800 millions d'euros. Certains des décaissements se feront pourtant au fur et à mesure des avancements des études et des négociations, comme le précise Antonio Sanchez Benedito, ambassadeur de l'Union européenne à Madagascar : « Chaque institution, chaque partenaire, a ses procédures et son calendrier. Dans le cas de l'Union européenne, s'il s'agit de projets d'infrastructures, il faut faire des études de faisabilité, il faut lancer des appels d'offres, ça veut dire que ça prendra du temps ».

Mais le tout premier enjeu reste pour les dirigeants celui de la concrétisation des promesses. La balle est désormais dans le camp du gouvernement qui va devoir démontrer aux partenaires techniques et financiers (PTF) sa capacité d'absorption en financement de projets et le succès de sa gouvernance. Ramiarison Hery, docteur en économie et enseignant chercheur, a livré ses analyses sur l’efficacité ou non de ces aides sur l’économie : « La Conférence des bailleurs et des investisseurs est qualifiée de grand succès par le régime dans la mesure où elle apportera au pays d’importantes aides publiques au développement (APD) d’environ 6,4 milliards de dollars provenant des bailleurs multilatéraux et bilatéraux, et 3 milliards de dollars d’investissements privés ».

Sans hésitation, le gouvernement parle de la confiance que jouit le pays auprès des bailleurs et des investisseurs. Certes, on peut parler de succès en termes de volume d’aide. Certains bailleurs, une hausse conséquente par rapport aux promesses annoncées en début de mandat du présent régime a été constatée. La Banque mondiale s’est engagée à octroyer 1,3 milliards de dollars lors de la Conférence de Pairs alors qu’il y a 2 ans, lors du passage de son Vice-président à Madagascar, cette institution ne nous avait promis que 460 millions de dollars à débourser sur 4 ans.

Ce début de confiance est impulsé par le Fonds monétaire international qui, en nous accordant la Facilité de Crédit Elargie (FEC) cette année, faisait la promotion de Madagascar auprès des autres partenaires comme un pays à qui on peut faire confiance en termes de gestion macroéconomique et d’efforts fiscaux.  En d’autres mots, Madagascar est sur une bonne voie, et les APD et les investissements y sont plus efficients et plus productifs, aboutissant à terme à une croissance forte et inclusive.

Madagascar aura à démontrer sa capacité d’absorption et de gouvernance de grands projets de développement suivant un calendrier de décaissement flou
 
Selon Ramiarison Hery, « en analysant de près la situation, le succès n’est que partiel, de même la confiance tant clamée par le régime, pour diverses raisons. D’abord, moins de la moitié de ces APD ont déjà été contractées durant les régimes précédents, et financent des projets qui sont en cours d’exécution. Le ministère des Finances et du Budget a avancé dans la presse le montant de 2,1 milliards de dollars sans toutefois préciser combien ont été déjà décaissés. A titre d’exemple, on peut citer les quatre projets dans le secteur agricole financés en grande partie par le FIDA à 268 millions de dollars dont l’exécution remontait au temps de la transition. A notre connaissance, une grande partie de ce montant n’est pas encore décaissée.
Deuxièmement, certains bailleurs ne faisaient que réitérer leur engagement initial à l’instar de l’Union Européenne, et préféraient nous octroyer plus de dons que des prêts, à l’exemple du Japon ».
Cela pourrait signifier que le succès que le gouvernement évoque est mitigé et ne marque pas l’entière confiance des investisseurs à la Grande Île et à ses dirigeants. En effet, durant le régime Ravalomanana, la société Ambatovy à elle seule a investi 5 milliards de dollars. C’était tout d’abord une forme de confiance des investisseurs privés au marché international, avant la considération des ressources locales si importantes soient-elles. L’on connait par ailleurs les difficultés actuelles des entreprises minières et pétrolières sur la baisse des prix au niveau mondial. 

« Il faut souligner ensuite le fait que le gouvernement n’a pas encore donné des détails sur les investissements privés promis lors de la Conférence des bailleurs et des investisseurs. L’on sait à peine qu’ils seront dans « les secteurs abrités », selon Ramiarison Hery. « Ce sont des secteurs à l’abri de la concurrence et/ou qui garantissent des rentes (rent seeking activities) comme le monopole, les mines, marchés publics, etc. Ces secteurs garantissent des profits énormes, même si le risque pays est élevé pour les investisseurs », précise cet économiste. Ces investissements ne seront pas entièrement supportés par les fonds propres des investisseurs, une partie étant financée par les bailleurs et garantie par l’Etat. A titre d’exemple, Ambatovy a bénéficié d’un prêt à des conditions plus avantageuses de 150 millions de dollars de la Banque Africaine de Développement en 2007. Ces prêts étaient garantis par l’Etat malgache. Il est certain qu’une partie des 3 milliards de dollars d’investissement privés annoncés lors de la conférence de Paris sera financée à travers les APD par la SFI et la BAD avec la garantie de l’Etat malgache. Ce n’est pas étonnant de constater l’afflux des investissements car d’énormes profits sont garantis malgré le niveau élevé du risque pays. 

Même si ces aides permettront de réaliser une forte croissance économique à court terme, celle-ci n’est pas à base élargie et loin d’être inclusive. A l’exemple des pays asiatiques des années 1970, le Mozambique a réalisé des taux de croissance à deux chiffres dans les années 1990 jusqu’au début des années 2000, grâce à d’importants investissements dans les matières premières, notamment l’aluminium, et dans l’électricité. Mais cette forte croissance ne contribuait que très faiblement au développement du pays qui est très loin comparée à la performance des pays asiatiques. Aussi, les autres investissements directement productifs sur les secteurs à haute concurrence tarderont à venir dans le contexte de risque pays élevé qui subsiste à Madagascar.
Il ne faut pas oublier que dans le passé, Madagascar était parmi les meilleurs élèves (good boys) des bailleurs de fonds. Ces derniers ont vanté, comme ils le font aujourd’hui, la qualité de la gestion macroéconomique et les efforts du gouvernement d’avoir mis la nation sur une certaine stabilité. 

En conséquence, le pays a pu bénéficier des APD à des conditions concessionnelles comme aujourd’hui. Ramiarison Hery insiste que « ce que nous vivons actuellement n’a rien d’exceptionnel. Les régimes de ces époques étaient aussi enthousiastes que celui d’aujourd’hui et n’ont cessé de clamer haut et fort que les bailleurs nous font confiance. Mais quelles étaient les résultats ? On n’arrivait pas à payer nos dettes et il a fallu les effacer dans le cadre de l’Initiative pour les Pays Pauvres Très Endettés (IPPTE) et de l’Initiative pour l’Annulation des Dettes Multilatérales (IADM) ». Sur les plans économique et social, Madagascar figure toujours parmi les pays les plus pauvres de la planète et classé nation fragile depuis 2010.
Ainsi, attribuer rapidement tous ces maux aux crises politiques mêmes si ces dernières y avaient contribué, serait une vue incomplète. Les contextes socioéconomiques actuels sont-ils meilleurs que dans les années 1990 et 2000 pour rendre ces APD plus efficaces, plus efficientes et plus productives qu’auparavant ? Selon Ramiarison Hery, « la réponse est définitivement non, Madagascar étant toujours un des pays les plus pauvres de la planète et nation fragile, à haut risque pour les investissements, et très vulnérable du point de vue climatique ». 

Madagascar accumulera d’énormes dettes dans les cinq prochaines années et la question de soutenabilité de la dette des années 1990 revient sur le tapis car le pays a une faible capacité d’absorption des aides, de même pour les rembourser. Au lendemain des décisions de l’annulation des dettes, ces dernières n’ont cessé de s’accumuler passant de 2,9 milliards de dollars en 2009 à 3,5 milliards de dollars en 2015. Pour 2016, elles sont estimées à 39,2% du PIB soit près de 4 milliards de dollars. Si la Grande Île augmente sa capacité d’absorption à 1,5 milliards de dollars par an, ses dettes atteindront 10 milliards de dollars en 2020, soit presque 100% du PIB, un fardeau de 460 dollars par habitant. Ramiarison Hery se pose la question : « Serions-nous capables de rembourser de telles dettes ? Au vu de la Loi de finance initiale (LFI) de 2016, de notre Plan national de développement (PND), des perspectives de croissance et surtout des contextes socioéconomiques actuels, la réponse est non ». 

Hery Rajaonarimampianina, Président de la République de Madagascar et son équipe lors de la Conférence des bailleurs et investisseurs à Paris en 2016
 
Après la Conférence des bailleurs et des investisseurs à Paris en 2016, la capacité d’absorption de ces aides est remise en question à Madagascar. Cette capacité d'absorption se définit comme la capacité d’utiliser plus d’aides sans produire l’inefficience (des dépenses publiques) et sans autres effets qui seraient dévastateurs. Le pays doit mesurer sa capacité d’utiliser les aides de façon efficiente. Il y a un seuil minimum d’absorption à respecter, en pourcentage du PIB pour que les APD soient efficientes et contribuent au développement réel d’un pays. Ce seuil varie selon les pays et selon les contextes locaux. Au-delà de ce seuil, les flux additionnels d’APD seront improductifs et pourront produire les effets néfastes. Il y a cinq contraintes majeures qui limitent la capacité d’absorption, à savoir : (1) contraintes macroéconomiques qui limitent la capacité de l’offre à répondre à la hausse de la demande provoquée par les flux d’aide, (2) insuffisance des capitaux et des infrastructures, (3) faible niveau de qualification du capital humain, (4) contraintes institutionnelles liées à la gouvernance et la corruption), (5) contraintes socioculturelles. 

Ces contraintes sont structurelles et leur résolution demande beaucoup de temps. Etant donné que Pour Madagascar où le risque n’est pas du tout modéré, et où la qualité de gouvernance laisse à désirer, si l’on ne parle que de la corruption. Les travailleurs qualifiés sont très rares avec 75% du capital humain ayant un niveau inférieur au primaire, le pays aura la peine à absorber les 6,4 milliards de dollars d’APD promis. Sa capacité d’absorption actuelle n’atteint même pas 500 millions de dollars comme l’a affirmé François Gervais Rakotoarimanana, ministre des Finance et du budget. 

De l’avis de Ramiarison Hery, « le ministre joue sur les mots entre la capacité d'absorption et la capacité de dépenser. Comme il a expliqué qu'il faut augmenter la capacité d‘absorption à hauteur de 1,5 milliards de dollars par an, en incitant les ministères à soumettre leurs projets de développement dans les meilleurs délais possibles et accélérer leur mise en œuvre. Le ministre veut entendre par là capacité de dépenser ces aides le plus rapidement possible car augmenter la capacité d’absorption à ce niveau d’ici un ou deux ans est impossible pour Madagascar. Si l’Etat s’entête à dépenser tant d’aides en si peu de temps, ne soyons pas surpris de voir le pays s’enfermer dans le piège de l’endettement et avec davantage de pauvreté d’ici 2020. S’empresser de dépenser ces aides tout en ignorant notre capacité réelle d’absorption sera une erreur fatale. Et il n’y aura plus d’annulation de dettes ».

Avec de tels risques, l’on se demande si les bailleurs de fonds oseront débourser ces 1,5 milliards de dollars en 2017 et sur les trois prochaines années, comme le souhaite vivement le ministère des Finances et du Budget. Mais l’histoire sur les aides a montré qu’il y a des cas où les bailleurs de fonds ont « délibérément ignoré cette capacité d’absorption au profit de leurs propres intérêts », martèle Ramiarison Hery. Ces cas sont abondamment traités dans des écrits économiques établis par des économistes de renom. On peut citer l’économiste Joseph Hanlon qui a traité le cas du Mozambique dans son ouvrage intitulé «  Do Donors Promote Corruption ? The Case of Mozambique » (Third World Quarterly, Vol.25, No 4 p747-763, 2004). Par ailleurs, Pr Randall W. Stone a remis en question l’indépendance du FMI. Il a prouvé que l’échec des réformes structurelles tant défendues par le FMI dans certains pays était dû au fait que les pays donateurs ont intervenu auprès de cette institution pour empêcher son application rigoureuse au profit des leurs propres intérêts économique et géopolitique (Stone, « The Political Economy of IMF lending in Africa », American Political Science Review, Vol.98, No 4, 2004).


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