Enquête sur BNP Paribas : de la filiale monégasque au "circuit malgache"

La question qui se pose à Madagascar est la suivante : quels noms d'hôtels, d'apporteurs d'affaires et d'intermédiaires vont tomber dans les semaines qui viennent dans le "circuit malgache" ? Et quelle somme a été en jeu depuis le début des opérations de blanchiment ?

par Tsirisoa Rakotondravoavy, 
Enquête de Grégory Raymond et documents du Huffington Post

BNP Paribas Monaco l'a fait, BNP Paribas Genève a fermé les yeux. Suite à l'information sur le blanchiment d'argent à travers les filiales africaines et malgache de la BNP Paribas que nous avons évoquée dernièrement sous le titre "La filiale monégasque de la BNP Paribas" le 19 avril 2013 que plusieurs journaux ont repris, une enquête a été effectivement menée sur cette filière africaine, notamment sur le "circuit malgache", comme les médias internationaux le surnomment. Comme nous l'avons souligné, une plainte a été déposée initialement par l'ONG Sherpa à l'endroit du procureur de Monaco après la découverte d'opérations inhabituelles dans les comptes de BNP Paribas Monaco Wealth Management avec les filiales BNP Paribas en Afrique et celle de Madagascar qui était la BMOI BNP Paribas (Banque Malgache de l'Océan Indien), dont les 75% détenus par la BNP Paribas ont été cédés à la BPCE en juillet 2011.
L'enquête a bien avancé et une équipe d'enquêteurs a atterri sans surprise à Madagascar depuis le mois de mai 2013. Comme le cas des filiales africaines au Gabon, Sénégal, Cote d'Ivoire et Burkina Faso, les enquêteurs ont confirmé l'émission de plusieurs chèques par la BMOI BNP Paribas à Antaninarenina Antananarivo. La totalité de ces chèques atteint plusieurs millions d'euros mais il est impossible d'avoir un chiffre précis au stade actuel de l'enquête. (lire Huffington Post)

A première vue, l'émission de ces chèques n'a rien d'illégal. Mais l'enquête affirme avoir identifié une pratique jugée frauduleuse, ou tout au moins douteuse mais jugée astucieuse quand on se penche sur les détails. Quelques hôtels de la place, dont on taira les noms jusqu'ici, invitent poliment les touristes débarquant chez eux à régler leurs frais d'hôtel avec leur propre chéquier, sans y inscrire le bénéficiaire, ce qui les évite de passer par les services de change de devises. Ces touristes voient dans cette proposition un gros avantage qui les soustrait de tout déplacement et en y gagnant la sécurité en restant à l'hôtel. Ils sont contents de se préoccuper directement des raisons de leur présence à Antananarivo et ne se posent plus de questions. A partir de cette étape, les maillons intéressent particulièrement les enquêteurs. Des intermédiaires entrent en contact directement avec ces hôtels et proposent d'échanger les chèques sans libellés avec de l'argent liquide. Aucune trace n'est laissée nulle part jusqu'à ce que ces intermédiaires ne retrouvent leurs "contacts" habituels qui détiennent des comptes à la BNP Paribas Monaco. Ces "contacts" récupèrent tous les chèques et les reversent dans leurs comptes à la filiale monégasque en bénéficiant du silence de cette banque quant à l'éventuelle question de provenance des fonds. Ils restent aux "contacts" de verser de l'argent liquide aux intermédiaires l'équivalent des sommes en jeu. Notons qu'à chaque étape, les hôtels, les intermédiaires, les "contacts", des commissions sont perçues de plusieurs manières pour que "tout le monde soit content" dans la chaîne des opérations. Car au bout de la chaîne, les enquêteurs se doutent bien que les soit-disant touristes ne le sont pas, ce sont des individus qui rappellent furieusement les "fourmis" ou les "porteurs de valises" vers les paradis fiscaux. C'est la répétition de ce genre d'opération qui a commencé à éveiller les soupçons des organes de contrôle des circuits financiers internationaux.
Vu des autorités bancaires françaises, cette opération répétitive n'a rien de répréhensible et s'apparente à un virement simple européen, d'un compte français à un compte monégasque. Mais ces flux révèlent la possibilité de sortir des capitaux d'un pays, la France dans ce cas précis, où les réserves de changes sont fortement contrôlées et une deuxième possibilité pour les ressortissants de ces mêmes pays de faire tout simplement une dissimulation de revenus.
BNP Paribas évoque cette affaire en se justifiant, et parle de cas isolés avec de petits montants localisés. L'ONG Sherpa révèle pourtant une chaîne internationale bien huilée qui passe par "la lessiveuse africaine" des centaines de millions d'euros par an.

Le cas de Madagascar, que le rapport interne de la BNP Paribas a retenu, serait anecdotique selon cette dernière, avec l'existence d'un "apporteur d'affaires" malgache doté d'un portefeuille avec des flux s'élevant à 10,2 millions d'euros répartis sur 284 chèques, ces derniers émis entre 2008 et 2011. Le compte de cet individu a semble-t-il été bloqué en 17 juin 2011.
Les enquêteurs ont pourtant insisté que les opérations sont bien huilées et bien installées dans plusieurs pays car d'autres pays destinataires ont été révélés par l'enquête. En effet, après la filiale BNP Paribas Monaco WM, l'île Maurice, le Singapour, la Suisse et l'Egypte ont été cités dans l'affaire comme destination de flux douteux. Le nombre d'opérations similaires se chiffre d'ailleurs à 3.466 chèques émis dans les filiales africaines et malgache, sans plus de précision sur les répartitions par pays et le nombre "d'apporteurs d'affaires" identifiés.
Un ancien salarié de BNP Paribas dénonce cette affaire en affirmant que contrairement à ce que la banque a affirmé, en l'occurrence l'arrêt de ce système frauduleux entre 2011 et 2012, les vraies pratiques ont été réellement stoppées en 2013 quand l'ONG Sherpa a détecté l'affaire et a saisi le procureur général de Monaco, Jean Pierre Dreno.
Une autre filiale, la BNP Paribas Genève est aussi mise en cause dans cette affaire. Genève a en effet un rôle de validation sur les opérations de la filiale BNP Paribas de Monaco. Cette validation se fait par BNP Paribas Genève, au service "Déontologie, éthique et respect" recevant les notes de demandes émises par les conseillers clientèles de Monaco. On peut lire sur cet échantillon de ces notes dont nous avons une version photocopiée : "Attendre position de Genève sur opérations de compensation menées par le client (vingt comptes en interne et ouvertures de comptes en cours)". Cette demande a été émise le 19 janvier 2009, trois ans avant la remise du rapport de l'inspection générale. Et le détenant du compte est notre fameux "apporteur d'affaires" malgache, dont le compte a été bloqué en juin 2011.
Jean-Laurent Bonnafé, le directeur général du groupe BNP Paribas ne renie pas l'erreur de sa filiale de Genève mais "met en cause la lenteur du rapport", pourtant émis en 2009, pour protéger la filiale BNP Paribas Monaco WM. Selon toujours Jean-Laurent Bonnafé, "la BNP Genève aurait dû être plus diligente dans la façon de réagir". L'ancien salarié confirme que "BNP Paribas Genève WM a fermé les yeux car l'opération était trop rémunératrice pour être interrompue".
La question qui se pose à Madagascar est la suivante : quels noms d'hôtels, d'apporteurs d'affaires et d'intermédiaires vont tomber dans les semaines qui viennent dans le "circuit malgache" ? Et quelle somme a été en jeu depuis le début des opérations de blanchiment ?

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