Attentat de Bamako : "Tout le monde savait"

Nicolas Marmié / Journal de l'Economie
"Tout le monde savait que ça allait péter; on ignorait simplement quand et où". La voix de Paul J. retraité français installé depuis six ans au Mali et dont la villa est à moins d'une centaine de mètres de "la Terrasse" frappée dans la nuit de vendredi à hier par un attentat d'une violence inouïe tremble d'une sourde colère. "Un lâche attentat" a condamné François Hollande, au moins très populaire au Mali.

 "La Terrasse", véritable institution des chaudes soirées de Bamako, ne reverra plus de si tôt le sourire en coin de Daniel, son patron libanais aussi connu dans la capitale malienne que son chapeau  trilby en cuir noir. Une demi-douzaine de morts dont au moins un Français et un Belge  tués comme des lapins par un commando d'au moins quatre  hommes armés de grenades et d'armes automatiques arrivés dans deux véhicules allemands. 
En haut, sur "La Terrasse", en ce début de week-end,  le Disc Jockey fait vibrer une clientèle cosmopolite sur la piste de danse qui jouxte l'immense comptoir en U derrière lequel s'affairent une douzaine de charmantes hôtesses venues des quatre coins de l'Afrique de l'Est. La bière Castel coule à flot et Alain surveille sa caisse et tout ce petit monde avec une vigilance bonhomme. Depuis plusieurs semaines, il sait que le drame peut survenir à tout instant. Les quelque 12.000 hommes et femmes de la Mission des Nations unies au Mali (Minusma) qui sillonnent les grandes agglomérations en croisant des dizaines d'espions venus de l'étranger en sont le marqueur tangible: deux ans après l'intervention militaire française Serval, le Mali est toujours en guère. L'ambassade de France dirigée par son  Excellence Gilles  Huberson, surnommé "le boss" parmi les Bamakois qui ont eu le privilège de l'apercevoir derrière les vitres fumées de sa berline, et son fidèle consul général Jean-Louis Soriano, surnommé quant à lui "l'adjudant" par les Français qui ont renoncé à s'inscrire sur ses listes, avaient pourtant multiplié les messages de prudence. "Les déplacements sont pour l'instant déconseillés dans la capitale" commente lucidement le consulat au lendemain du drame. Que penser pourtant de l'immense solitude sécuritaire d'Alain, le patron libanais de "La Terrasse" ? Un seul gardien en bas de l'escalier menant à l'établissement. Un barrage de vigiles corrompus le précède dans le corridor sombre qui mène à cet escalier. Ils surveillent eux le "Cotton Club", une boîte de nuit à la réputation sulfureuse et n'hésitent pas rançonner le chaland malgré les coups de gueule d'Alain. Pas le moindre agent de sécurité de l'ambassade en civil. Pas de forces spéciales françaises, américaines ou marocaines déguisées en touristes. Bref, une population de fêtards internationaux livrés à eux-même. "ça va péter à la Terrasse (quartier de l'Hippodrome) ou au restaurant le Bafing (quartier du Fleuve) où les cadres de la Minurso claquent leurs gras émoluments" prophétisait il y a une semaine à Sud-Ouest un ancien légionnaire du 3ème REP de passage à Bamako. En compétition au festival du film de Ouagadougou, le visionnaire film "Rapt à Bamako" décrit pourtant les rouages et l'amateurisme des terroristes maliens, Donc, "tout le monde savait parfaitement mais personne n'a rien fait. Mais on va bien compter les morts" déplore un documentaliste français en poste depuis deux mois au Mali. Au lendemain des infructueuses négociation de paix d'Alger entre le gouvernement et l'alliance mafioso-islamo-indépendantistes --qui réclame l'indépendance du Nord-Mali (Azawad) pour couvrir ses lucratifs trafics de drogue; de cigarettes; de pierres précieuses; d'essence et d'alcool frelaté--, la hache de guerre est à nouveau déterrée. Le président malien Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) régulièrement élu en 2013 avec plus de 77% des suffrages pour rétablir l'unité et l'autorité de l'Etat a, comme Alain "Terrasse", un joli chapeau. Ils se sont tous les deux découverts à la mémoire des victimes du 7 mars.

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