Communiqué : "Le 23 mars Sherpa a déposé plainte contre Vinci Construction, pour travail forcé, réduction en servitude et recel, sur des chantiers au Qatar notamment ceux de la coupe du monde (de football: NDLR). Vinci a démenti nos accusations, et allègue des conditions de travail dignes pour les migrants sans aucune précision… La multinationale a déclaré vouloir porter plainte en diffamation, cependant nos preuves sont là, nous ne céderons pas aux tentatives d’intimidation.
Suite à notre plainte déposée le 23 mars, la multinationale Vinci menace de porter plainte à son tour pour diffamation. Cette riposte courante appelée SLAPP (« strategic lawsuit against public participation », ou « poursuite bâillon ») vise à entraver la dénonciation de faits à travers des menaces de poursuite ; le succès d'une telle opération ne découle pas tant d'une victoire devant les tribunaux que du processus lui-même, visant à intimider la partie défenderesse ou l'épuiser financièrement dans le but de la réduire au silence. Nous avons cependant les outils juridiques nécessaires pour nous défendre et nous ne céderons pas aussi facilement à la pression. Depuis le dépôt de plainte beaucoup de manifestations de soutien nous sont parvenues de salariés ou sous-traitants se plaignant des pratiques de Vinci. L’un d’entre eux nous a rapporté avoir aussi subi des menaces d’attaques en diffamation.
Vinci prétend avoir cessé la confiscation des passeports depuis janvier 2015 et amélioré les conditions de travail des salariés. Ainsi, la multinationale avoue non seulement que la confiscation d’un passeport est un fait grave mais qu’en plus elle l’a fait pendant des années, en violation de la loi qatarie et des standards internationaux. Vinci se targue d’avoir amélioré les conditions de logement de 2000 ouvriers en janvier 2015. Qu’en est-il des autres salariés sur 3200 déclarés ? Qu’en est-il de tous leurs sous-traitants qu’elle dit pourtant contrôler, et à qui elle doit donner, d’après la loi qatarie et ses engagements éthiques, les mêmes conditions de travail et d’hébergement que ses salariés directs ?
Vinci déclare que 70 % des salariés reviennent chez eux après un premier contrat expiré. Il s’agit certainement encore une fois de 70% de leurs salariés directs, sans prendre en compte les sous-traitants qui représentent pourtant la majorité de la main d’œuvre. Par ailleurs, les bangladais que nous avons rencontrés nous expliquent qu’ils sont pris en otage, car s’ils perdent une journée de travail, ils ne peuvent pas nourrir leur famille.
L’esclavage moderne actuel ne consiste pas à attacher des travailleurs à des chaines et à les fouetter. Il est plus subtil : le code pénal vise une population vulnérable, qui subit les menaces d’un employeur et qui est dans une telle dépendance économique qu’elle n’aura pas d’autre choix que d’accepter des conditions de travail indignes et donc de renouveler son contrat.
Nous sommes néanmoins satisfaits si cette plainte, ne concernant que Vinci pour le moment, et les précédentes interpellations ont pu améliorer le sort de certains des migrants sur leurs chantiers. Nous prenons par ailleurs bonne note de la pertinence de notre plainte sur tous les faits dénoncés antérieurs à 2015, et pour toutes les violations qui continuent sur la majorité des travailleurs, et encourageons donc Vinci à continuer ses efforts pour faire cesser toute violation de droits fondamentaux.
Par ailleurs, le 30 mars, une loi historique sur la responsabilité des multinationales a été votée en première lecture à l’assemblée nationale. Celle-ci représente une première victoire, pourtant elle demeure insuffisante pour éviter de nouvelles violations de droits humains. Elle ne concernera que 125 entreprises et ne permettra pas aux victimes d’accéder à la justice : celles-ci devront toujours prouver la faute de l’entreprise et les liens entre la filiale et la maison mère (les liens entre la faute et le dommage), ce qui s’avère extrêmement difficile voire impossible. De plus celle-ci prévoit la publication d’un décret qui risque de repousser son application aux calendes grecques. La bataille est loin d’être terminée, la loi doit impérativement être mise à l’agenda du Sénat pour être débattue et renforcée, et éviter que des drames comme ceux du Qatar ou du Rana Plaza ne puissent se reproduire".
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