Journal de l'Economie | Tsirisoa Rakotondravoavy
ANTANANARIVO, 17/12/15 (journaldeleconomie.com) - En cette période de fin d'année, les consommateurs veillent à la bonne tenue de chaque bourse, mais chacun est conscient qu'il n'est jamais à l'abri d'une éventuelle hausse des prix. Et ce malgré la baisse à 12% du taux directeur annoncé récemment par la Banque centrale de Madagascar, une mesure qui a été prise pour "maintenir le niveau actuel de la consommation"et pour inciter au crédit bancaire à la consommation. Mais il persiste cette méfiance sourde inhérente aux administrés à l'égard de ceux qui gouvernent, une méfiance justifiée au vu des dernières mesures prises au sommet de l'Etat.
A la sortie du dernier Conseil des ministres, un témoin, haut responsable du gouvernement actuel, n'a pas pu cacher ses sérieux doutes envers ses pairs. Et ma question par rapport à ce malaise a immédiatement inspiré mon interlocuteur malgré la soirée tardive pendant laquelle notre rencontre a pu avoir lieu. Autosatisfaction, c'est avec ce mot simple qui en dit long qu'il a répondu à la question, un mot qui n'est certainement pas sorti de l'humeur de la personne, ni du ciel nuageux d'Antananarivo ce soir là.
Les raisons ? En lieu et place des réformes structurelles annoncées d'une manière tonitruante au début du quinquennat de Rajaonarimampianina, ce fameux Conseil des ministres a décrété des mesures qui ont interpellé nombre d'observateurs économiques. Principalement touché, la compagnie nationale Air Madagascar. Les mesures prises pour cette société d'Etat semblent montrer un recul face aux malaises que la compagnie subit en affrontant de multiples menaces incessantes que constituent les syndicats de personnel depuis des années. L'on se souvient des pressions maintenues par ces syndicats depuis des années aux dirigeants d'Air Madagascar, pilotes, personnel technique au sol et mécaniciens, personnel naviguant commercial, ... qui ont défendu becs et ongles leur pré-carré respectif face à toute idée de changement. Le fait est pourtant de notoriété publique que parmi le personnel d'Air Madagascar se cachent de vrais businessmen qui ont rempli par cartons entiers les soutes des appareils de cette compagnie publique pour leurs intérêts personnels, et ce depuis des années. Sans parler des trafics en tout genre qui se passent sous le nez des douaniers dans nos aéroports internationaux. Cette hypocrisie entretenue n'a mené qu'à une certitude, une seule, cette compagnie ne sera jamais une compagnie commerciale ordinaire.
Et la dernière décision de l'Etat ressemble beaucoup à une volonté de n'engager aucune réforme au sein d'Air Madagascar. L'Etat apportera en effet par décret une énième recapitalisation après le dernier Conseil d'administration du mois de novembre, cette fois-ci de 128 milliards d'ariary (36,6 millions d'euros) pour la compagnie malgache. Cette recapitalisation sera ventilée comme suit : 22 milliards d'ariary (6,29 millions d'euros) en numéraire déjà comptabilisé en 2015, 25 milliards d'ariary (7,14 millions d'euros) en 2016, et le reste comptant pour les diverses dettes aux comptes courants d'associés et des services douaniers et autres entités. Cette recapitalisation portera à terme les parts de l'Etat dans l'actionnariat d'Air Madagascar à 60% avec une possible capitalisation qui atteindrait selon une source de l'Express de Madagascar, les 210 milliards d'ariary (60 millions d'euros) après l'augmentation de capital.
La question qui se pose est celle-ci : Pourquoi finance-t-on encore une société qui se trouve dans une équation structurellement déficitaire ? L'expérience actuelle d'une autre société d'Etat, la société de fourniture d'électricité et d'eau Jirama n'est-elle pas flagrante après les partenariats que cette dernière a signées avec plusieurs entités privées étrangères comme Symbion Power ? Quand engagera-t-on finalement les vraies réformes et quand cesseront les actions anti-économiques de la Jirama qui coupent l'électricité durant des heures ou des jours dans des zones d'activités intenses du pays ?
Une autre expérience récente est édifiante dans cette attitude des pouvoirs publics, celle de la Banque centrale qui a affiché trois ans de déficit entre 2011 et 2013, et où les pertes se chiffrent à 213,7 milliards d'ariary (61 millions d'euros), période pendant laquelle l'actuel président de la République était ministre des Finances et du Budget, donc en connaissance parfaite de la situation financière du pays. La réponse récente du gouvernement sur cette situation n'a pas varié de beaucoup par rapport à celle sur le cas d'Air Madagascar : la Banque centrale sera elle aussi renflouée à travers des actions de "titrisation" de créances et d'émissions de bons de Trésor pour permettre le remboursement de ce chiffre d'entre 2011 et 2013, en vertu de la Loi de finance rectificative de 2015 (art. 20 de juin 2015). Ce sont pourtant des leviers qui n'apportent pas les solutions à long terme, au vu des expériences passées.
La seule réforme que l'Etat malgache a mis en route, et encore sous la pression des bailleurs de fonds est celle concernant la gouvernance de la comptabilité du Trésor public où la Banque mondiale a évoqué la mise en place de sites internet pour permettre au public de consulter justement les comptes des sociétés d'Etat.
L'on se demande actuellement sur le vrai sens de ces actions, qui seront certes des remèdes à court terme, mais n'aident en rien à l'amélioration de la situation actuelle des sociétés d'Etat pour qu'elles retrouvent une performance digne des grandes compagnies d'Etat des autres pays. Cherche-t-on à éviter simplement les déficits par des actions artificielles qui rappellent la "quantitative easing" (QE), ou l'assouplissement quantitatif (traduction technique libre) et mutualisation des pertes, à coup de rachats massifs de créances que l'Union européenne a engagé pour 1.000 milliards d'euros au début de l'année 2015 pour relancer l'économie.
A la fin de notre discussion avec notre informateur, qui se mordait quand même un peu les lèvres pour ce manque de solidarité public, on a évoqué la contrepartie de cette autosatisfaction non feinte de nos dirigeants. Ce sera au prix d'autres nouvelles décennies où les administrés paieront cash ces décisions. D'autant que rien ne présage un semblant de reprise à l'horizon. La croissance annuelle a été revue à la baisse par le Fonds monétaire international. Les cours des matières premières resteront d'une manière durable à leur niveau actuel, à l'instar du pétrole sur le marché international à moins de 40 dollars, et les grandes entreprises minières (QMM et Ambatovy), relais de croissance pour l'économie malgache, sont au plus mal. Pire, l'année d'élection de 2018 s'approche de manière dramatique et il ne restera plus que l'année 2016 pour réagir de manière sereine.
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