Par Tsirisoa Rakotondravoavy | Journal de l'Economie
ANTANANARIVO - 17/08/2017 - "Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s' habitueront", Rougeur des matinaux, de René Char.
Chargée d'optimisme, cette citation du poète et résistant français du siècle dernier n'est pas sortie d'un pitch, ce petit exposé de projet de 5 minutes dont raffolent les créateurs de startup. Mais à Madagascar, comme partout ailleurs, la conjoncture économique a fait de cet optimisme l'opium des startups, dont le chemin est semé d'embûches depuis leur début à l'aube des années 2000 : éclatement de la bulle Internet à l'international et crise politique à Madagascar en 2001, crise financière mondiale et crise politique à Madagascar en 2008, crise économique, absence de capitaux de financement et concurrence déloyale découlant des événements passés, bien avant celui de 2009 qui, bien sûr, était dévastateur et fatal pour beaucoup d'entrepreneurs malgaches.
Sept ans après, quelques ex-startups malgaches de l'époque sont encore là, dont la grande majorité étaient dans ce qu'on appelait encore les nouvelles technologies. Nombreux ont disparu ou ont connu une mutation, par la force des choses. Mais d'autres sont venus bien après, ils sont jeunes, ils ont faim et surtout, ils ont appris, à la fois de leurs aînés, mais aussi des événements passés. Ils sont présents dans plusieurs secteurs, décomplexés et déchargés d'une idée reçue selon laquelle un secteur donné appartient à un groupe donné à Madagascar. Ils prennent des risques, parfois élevés. Mais les banques, les fonds d'investissement et les plateformes de crowdfunding jouent le jeu et les capitaux à lever s'ouvrent aux jeunes. Plusieurs incubateurs ont vu le jour. Les médias et les blogs spécialisés titrent sans retenue : "Madagascar, pays de startup", "2017, année des startup", ... ou "Madagascar ne sera jamais un pays de startup".
Car la dure loi de la réalité revient de plein fouet : les contraintes du marché, la course au financement, la concurrence et l'usage adéquat des réseaux sociaux. Et surtout, un taux de mortalité des entreprises encore très élevé à Madagascar.
"Impose ta chance, serre ton bonheur..."
Ainsi de nombreux projets sont nés ces deux dernières années, et des jeunes entrepreneurs malgaches se lancent à fond dans l'innovation : cuiseur solaire, sac biodégradable, compost bio, brique crue, stockage d'énergie, premier ketchup malgache, premier drone malgache, ... Plusieurs startup malgache ont brillé lors de conférences et de concours nationaux, régionaux ou internationaux : Azinsha Prize, Startup Weekend, ... Des incubateurs et d'autres formations et appuis se sont mis en place : Junior pour Madagascar, Zama, Incubons, Youth Connect, Habaka, Kentia, ... Des programmes prennent forment, à l'instar de l'initiative 100startup.co de Prospérin Tsialonina qui veut lever 200.000 euros pour appuyer 100 startup malgaches. Le Fivmpama, de son côté, a attiré l'attention de la diaspora avec ses quelques 250 millions de dollars injectés tous les ans à Madagascar. Une partie de cette somme pourrait être allouée à l'entreprenariat, en associant les malgaches de l'étranger et aux jeunes du pays.
"Prends ton risque..."
Si la prise de risque constitue le premier frein du futur entrepreneur, la méconnaissance du marché en est la première raison. Si nul ne peut prétendre connaitre le marché, celui qui a pris le risque d'aller de l'avant, lui, il peut le faire. A condition qu'il fasse partie du tiers des entreprises qui survivent après les deux premières années de création.
Car selon les statistiques à Madagascar, plus de 65% des PME malgaches disparaissent avant leur troisième année d'existence. Les promoteurs d'Incubons, dans leur propos très critiqué sur la toile la semaine dernière, voulait sans doute attirer l'attention des startup et des incubateurs sur ce sujet.
Ce taux de mortalité élevé s'explique globalement par la méconnaissance du marché auprès des nouveaux entrepreneurs : le produit, les ressources, la concurrence, les cibles et les pistes de croissance. Le débat était passionné sur les réseaux sociaux à ce propos quand une blogueuse dénommée Aryane a critiqué point par point le texte d'Incubons.
Sans rentrer dans le débat et les critiques, il faut pourtant soulever derrière les chiffres et les propos avancés par Incubons une réalité souvent ignorée. Vendre à prix fort avec une marge conséquente ne veut pas nécessairement dire écarter un segment de clients négligeables, mais plutôt "cibler un segment payant", souvent à l'exportation, pour nourrir des producteurs locaux, généralement écartés du marché. Sans cette forme d'innovation et de rupture dans l'équation financière d'un projet, les entreprises malgaches resteront emprisonnées dans un cycle fermée du marché illustrant leur fragilité.
"A te regarder, ils s' habitueront..."
C'est sur ce point essentiel que les fonds d'investissement, qui opèrent derrière les incubateurs, décryptent et dissèquent les projets apportés par les startup, à l'image de ce qui se fait partout ailleurs. Ainsi, les créateurs de startup ne seront plus grisés par la célébrité acquise trop rapidement et les illusions du gros buzz, et s'attèleront essentiellement à la viabilité et la rentabilité de leurs projets. Ce qui est déjà une vaste mission au vu de la conjoncture économique à Madagascar.
Dans le film "Wall Street : l'argent ne dort jamais", un point capital constituant l'économie mondiale a été soulevé. Les jeunes y sont assimilés à des samouraï, des survivants, avec des parents surendettés et qui n'ont plus d'économie. Beaucoup de ces jeunes se sont eux aussi endettés pour leurs études, et vont en faire d'avantage dans leur carrière professionnelle.
0 Commentaires