Après plus d’une décennie de croissance quasi ininterrompue, le secteur mondial du luxe connaît une baisse de forme notable. La filière a enregistré un recul en 2024, et les signaux de reprise tardent à se concrétiser. La première moitié de 2025 confirme la tendance : le marché souffre d’un environnement économique dégradé, marqué par le ralentissement de la consommation mondiale, des incertitudes géopolitiques et un durcissement monétaire dans les principales économies.
En première ligne, les trois champions français du secteur – LVMH, Hermès et Kering – voient leurs performances affectées. Les résultats publiés fin juillet dressent un tableau contrasté, mais globalement morose, de l’industrie du luxe. Le groupe dirigé par Bernard Arnault a vu son résultat net plonger de 22 % au premier semestre 2025, conséquence directe d’une baisse de 30 % de ses ventes, désormais évaluées à 40 milliards d’euros. La contre-performance touche particulièrement les divisions Mode et Maroquinerie, traditionnellement locomotives du groupe, pénalisées par la baisse de la demande en Chine et aux États-Unis, deux marchés clés pour le luxe.
Du côté de Kering, la situation est encore plus préoccupante. La maison mère de Gucci, Saint Laurent ou Balenciaga a enregistré un bénéfice net en chute libre de 46 % sur la même période, à 474 millions d’euros, tandis que son chiffre d’affaires a reculé de 16 %, à 7,6 milliards d’euros. Le groupe, piloté par François-Henri Pinault, paie le prix d’une trop forte dépendance à la marque Gucci, qui peine à séduire les consommateurs malgré les efforts de repositionnement entrepris ces derniers mois. En revanche, Hermès résiste mieux que ses concurrents, bien que le groupe de la famille Dumas ne soit pas totalement épargné. Si ses résultats semestriels montrent un ralentissement de la croissance, la maison au logo à la calèche bénéficie de sa clientèle ultra haut de gamme, moins sensible aux aléas conjoncturels, et d’un positionnement fondé sur la rareté et l’exclusivité.
Un marché mondial fragilisé
Ce repli des géants du luxe s’inscrit dans un contexte global marqué par une baisse généralisée des ventes de produits de luxe. Après des années euphoriques, la Chine – moteur essentiel du secteur – ralentit, plombée par la crise immobilière et la faiblesse de la consommation intérieure. Aux États-Unis, l’inflation et le durcissement des conditions de crédit pèsent sur les achats discrétionnaires, tandis que l’Europe subit les conséquences des tensions géopolitiques et d’un moral des ménages en berne. « Le luxe n’est pas déconnecté du reste de l’économie. Lorsque les grandes fortunes ralentissent leurs dépenses et que la classe moyenne supérieure réduit ses achats, l’effet est immédiat », analyse un expert du secteur interrogé par notre rédaction.
Les analystes soulignent également l’impact des fluctuations monétaires, qui réduisent la rentabilité des groupes sur certains marchés, ainsi que la montée en puissance de concurrents asiatiques, capables de proposer des produits haut de gamme à des prix plus compétitifs. Face à cette conjoncture défavorable, les géants du luxe, notamment les entreprise de l'Hexagone, engagent des stratégies de redéploiement. LVMH mise sur un renforcement de ses gammes iconiques et sur une meilleure exploitation de ses canaux digitaux pour séduire les jeunes consommateurs, particulièrement en Asie. Le groupe entend aussi capitaliser sur son portefeuille de marques diversifié, de Louis Vuitton à Sephora, pour amortir les chocs sectoriels.
Kering, de son côté, prépare une refonte profonde de Gucci, avec l’arrivée d’un nouveau directeur artistique et un repositionnement axé sur le très haut de gamme. Le groupe multiplie aussi les investissements dans la joaillerie et l’horlogerie, deux segments considérés comme porteurs à moyen terme. Hermès, fidèle à sa stratégie traditionnelle, continue de miser sur la rareté, l’artisanat et la montée en gamme. La maison a annoncé l’ouverture de nouveaux ateliers en France et un élargissement de ses gammes de maroquinerie, afin de répondre à une demande toujours soutenue de ses produits les plus exclusifs.
Vers une consolidation du secteur ?
Si la situation actuelle met sous pression les marges, certains observateurs voient dans cette crise une opportunité de consolidation. Les groupes disposant de bilans solides pourraient saisir l’occasion de renforcer leur portefeuille par des acquisitions stratégiques, notamment dans les segments du luxe accessible ou du digital. « Le marché du luxe traverse une phase d’ajustement. Les grands groupes, s’ils savent s’adapter, sortiront plus forts de cette période », estime un analyste parisien. Par ailleurs, l’essor du luxe durable et l’importance croissante de l’expérience client ouvrent de nouvelles perspectives. Les jeunes générations, particulièrement sensibles aux questions environnementales et à la personnalisation, redéfinissent les codes du secteur.
À court terme, les perspectives restent incertaines. Les prévisions des cabinets spécialisés, comme Bain & Company, tablent sur une croissance mondiale du luxe comprise entre 2 % et 4 % en 2025, bien en deçà des niveaux observés au cours de la dernière décennie. Cependant, le potentiel à long terme demeure élevé, porté par l’émergence de nouvelles clientèles en Asie du Sud-Est, au Moyen-Orient et en Afrique, ainsi que par l’adoption croissante des canaux de vente en ligne.
« Le luxe est une industrie résiliente. Elle a déjà traversé plusieurs crises et a toujours su rebondir », rappelle un dirigeant du secteur. La clé, selon lui, réside dans la capacité des acteurs à conjuguer innovation, exclusivité et responsabilité, pour répondre aux attentes d’un marché en profonde mutation. Bref, le ralentissement du luxe mondial en 2025 marque une rupture après plus d’une décennie de croissance continue. Les locomotives voient leurs résultats lourdement affectés, si certains arrivent à tirer mieux leur épingle du jeu. Si la conjoncture reste incertaine, le secteur, fidèle à son ADN d’innovation et de prestige, serait déjà en train de s’adapter pour écrire déjà une nouvelle page de son histoire.
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