Madagascar : trafic d'holothurie, le combat inégal du maire de Sainte-Marie


Le kilo de concombres de mer se négocie à 400 dollars et atteint 1.000 dollars à Hong-Kong si la longueur dépasse 30cm



Journal de l'Economie | Tsirisoa Rakotondravoavy  | Reporterre.net


ANTANANARIVO, 01/09/2016 (journaldeleconomie.com) -- Après la baisse des tensions médiatiques autour du double meurtre récent à Sainte-Marie, l'île se fait encore parler d'elle malheureusement sur un autre crime, bien moins médiaticette fois-ci. A travers une enquête menée par le quotidien Reporterre, le jeune maire de l'île Ismak Beassou, 29 ans, n'a pas hésité à confié "ce qu'il sait" sur le trafic de concombres de mer ou holothurie qui se fait au grand jour sur sa juridiction.

La pêche de cette espèce n'est pas illégale en soi à Madagascar, mais le phénomène de rafles par séries qui sévit à Sainte-Marie a conduit Reporterre à enquêter sur l'île. L'espèce est menacée, les concombres de mer se font rares sur la côte Ouest de Madagascar, où seuls des acteurs isolés repensent à sa culture pour un espoir de repeuplement, à l'instar de l'entreprise IOT qui arrive à en vivre sans toucher aux espèces sauvages. L'holothurie vit dans les fonds marins, nettoie toute pollution marine et dans les mangroves, et règle l'oxygénation de la mer, autant dire un élément essentiel pour l'équilibre de l'écosystème marin. Très prisés par les chinois et les coréens, les concombres de mer sont régis par un calendrier de pêche sensé être respectés par les pêcheurs de la Grande Île. Mais la demande chinoise est telle que ces derniers, locaux comme étrangers, n'ont jamais respecté ce calendrier. Les chinois fêtent leur nouvel an au mois de février et s'attendent chaque année à ce que leurs plats soient garnis par cette espèce fragile. Les mois précédents ces fêtes coïncident pourtant à la fermeture de la pêche aux concombres de mer. Ce qui accélère les trafics et la disparition progressive de l'holothurie sur la côte Ouest et Sud de Madagascar.

La conséquence de ce phénomène se traduit immédiatement par le déplacement des pêcheurs vers l'Est de la Grande Île, notamment sur l'île Sainte-Marie, hors de tout contrôle visible, au grand bonheur des pêcheurs. Ismak Beassou constate depuis juin 2015 la présence de plusieurs pêcheurs de concombres de mer autour de cette petite île de 27.000 habitants. Ces pêcheurs viennent de Tamatave, de Mahambo, de Fénérive Est et de Soanierana Ivongo, mais aussi de l'Ouest de Madagascar, Majunga, Morondava et de Tuléar, munis de milliers de bouteilles. Beassou et Andry Malalan'ny Aina, un écologiste malgache, ont tiré la sonnette d'alarme sur le site de Reporterre sur les trafics de cette espèce sur l'île Sainte-Marie. Ils ont alerté le ministère malgache de l'Environnement et celui de la Pêche, mais Beassou a déclaré que les trafics bénéficient de protection "en haut lieu". Il suffit en effet d'assister à une scène irréaliste d'amarrage à Sainte-Marie, au mois de novembre 2015, d'une trentaine de bateaux équipés et lâchant 180 plongeurs munis de bouteilles destinées aux rafles pour comprendre le désarroi du jeune maire. Ce dernier a signalé le phénomène aux services des Pêches à Tamatave, qui devait faire autant au ministère à Antananarivo. Andry Malalan'ny Aina précise que l'utilisation de cette bouteille permet une pêche exceptionnelle de 250kg de concombres de mer par jour, par bateau. Le kilo de concombres de mer se négocie à 400 dollars et si la longueur atteint les 30cm, il peut se vendre jusqu'à 1.000 dollars à Hong-Kong.

Un bateau a été arraisonné au mois de février dernier et les six occupants arrêtés ont raconté tranquillement leur méthode de pêche, avec 19 bouteilles saisies. Au grand dam de Beassou, un coup de fil venant d'un numéro inconnu a pu libérer ces pêcheurs illégaux, enfonçant l'impuissance des autorités locales. Pire, le maire constate que son adjoint lui-même, qui est un loueur de bateau connu sur l'île, connaitrait un homme mêlé à ce trafic, sans pourtant exprimer la moindre inquiétude. Le maire et l'ami écologiste ont reçu des menaces après cette enquête. Le représentant local du ministère de la Pêche est pointé du doigt mais la ministre Ndahimananjara Johanita a laissé entendre, selon Reporterre, que "c'est la manière de faire à la malgache" lors de son passage sur l'île en avril, évoquant la libération des six trafiquants. Et ce représentant ministériel à Sainte-Marie a répondu clairement aux questions de Reporterre : "Je sais tout mais je ne dirai rien". La seule réaction du gouvernement a été de suspendre l'exploitation sous toutes ses formes des concombres de mer, sans avoir cherché à arrêter les coupables. Andry Malalan'ny Aina déplore le réflexe "court-termiste" des autorités en insistant qu'il est bel et bien possible de faire de la culture contrôlée de concombres de mer, comme le fait l'entreprise IOT dans le Sud.

De son côté, Beassou a organisé une manifestation pour dénoncer publiquement ce trafic. Il y a martelé : "Je vais trouver des solutions, malgré les menaces".

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