La France, comme l'ensemble de l'Europe, fait face à de nouvelles réalités géopolitiques et géoéconomiques. A peine remise des conséquences du Covid, elle est confrontée à des pressions inédites, politiques en premier lieu avec les ingérences étrangères dans les élections françaises, les cyberattaques et les opérations d'espionnage politiques, puis les pressions économiques avec le prix de l'énergie et des matières premières.
Face à ces pressions, le renseignement français est fortement mis à l'épreuve. Sa structure même est critiquée car la notion de sécurité s'est considérablement élargie, auparavant orientée principalement vers la lutte contre le terrorisme, et maintenant touchant tous les domaines : politique, social, économique et financier.
Afin d'accompagner la communauté française du renseignement pour faire face à ces pressions, l'Assemblée nationale avait créé une délégation parlementaire au renseignement en 2007. Cette délégation missionnée pour dresser un rapport annuel est composée de huit élus, députés et sénateurs.
Aussi, le rapport de 2023 de la délégation parlementaire au renseignement, rendu public le 2 novembre 2023, est accablant : malgré l'efficacité historique de ses services de renseignement, la France n'est pas au niveau et est jugée vulnérable face aux ingérences étrangères. En effet, dans le rapport de cette année, la délégation parlementaire au renseignement a mis en priorité absolue, une urgence nationale, les ingérences étrangères constatées dans plusieurs domaines, révélant "une menace protéiforme, omniprésente et durable", comme il est inscrit dans le rapport.
La délégation parlementaire au renseignement a clairement statué dans son rapport que, malgré les nombreux outils dont disposent les différents services de renseignement en France, "ces outils ne suffisent pas à eux seuls dans la durée". Le pays a en effet subi des opérations d'espionnage, de manipulation d'informations et de cyberattaques dont les instigateurs sont ouvertement pointés du doigt, dont les principaux sont la Russie, la Chine, l'Iran et la Turquie. Ces pays sont accusés d'être derrière les actions visant à fragiliser la démocratie française et sa stabilité économique, tout en apportant de nouvelles influences dans les cultes religieuses et dans les cultures nationales.
La liste des pays accusés d'ingérences en France ne se limite pas aux pays cités dans le rapport. Car parmi les alliés de la France, considérant le découpage géopolitique actuel, se trouvent également des pays, comme les Etats-Unis ou l'Allemagne, où des différends sont constatés sur des domaines comme l'énergie, le numérique ou le commerce. Le rapport a soulevé ces points en soulevant "qu'en matière d’espionnage et d’ingérences économiques, nos alliés ne sont pas non plus forcément nos amis et divers modes opératoires" sont révélés dans plusieurs dossiers conflictuels entre occidentaux.
Déni et naïveté de la France
La délégation parlementaire au renseignement, dans son rapport public de 2023, a ainsi mis dans le même paniers les puissances étrangères qui ont lancé dans opérations d'ingérences politiques et économiques en France. Le rapport on ne peut plus clair : "Les puissances étrangères profitent d’une forme de naïveté et de déni qui a longtemps prévalu en Europe".
A ce titre, le rapport met à mal l'unité de l'Europe face aux menaces réelles, économiques et politiques, illustrée par le début d'invasion de l'Ukraine par la Russie, et particulièrement pour la France, la perte de contrôle de ces "pays amis" en Afrique, comme le retrait de la force Barkhane, et les séries de coups d'Etat qui ont fait tomber des gouvernements avec lesquels la France a entretenu historiquement des liens étroits.
Ainsi, la délégation parlementaire au renseignement a rappelé l'urgence sur la préservation de la souveraineté de la France, dans son sens le plus large sur les problématiques soulevées dans son rapport. "Les valeurs démocratiques sont à la fois notre force et notre faiblesse face à des régimes autocratiques aux méthodes éloignées des nôtres", précise le rapport. Ce dernier recommande que "le concept de souveraineté doit primer sur toute autre considération", en utilisant et en optimisant tous les outils institutionnels et les services de renseignement dans ce sens, tout en observant les règles d'un Etat de droit.
La délégation parlementaire au renseignement a recommandé des points de départ quant à la volonté de l'Etat à juguler les actes d'ingérence sur son sol : identification étrangers influents en France, gel des capitaux et des structures proches des pays pointés par le rapport, surveillance accrue des partenariats privés et formation des élus.
Le rapport préconise également un projet de loi anti-ingérence étrangère, tout en lançant un dialogue pour concevoir une réponse commune à ces actes au niveau de l'Europe.
Renforcement de la communauté française du renseignement
Il faut savoir que les services français dédiés au renseignement, au niveau national et à l'étranger, a utilisé un budget total de 500 millions d'euros pour toutes leurs opérations. Comme le prévoit la loi de programmation militaire 2024-2030, ce budget devrait connaître une augmentation à 1 milliard d'euros en 2030, et le rapport 2023 de la délégation parlementaire au renseignement va également dans ce sens.
Le concept de la "communauté du renseignement" en France est né en 2008, stipulé dans le Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité nationale, et défini par décrets successifs en 2014 et en 2017, suite aux expériences sécuritaires subies par le pays (Bataclan, ..). Sa stratégie tourne autour de cinq grandes fonctions, dont la première, englobant "connaissance et anticipation", priorise le renseignement français et l'ensemble de sa structure.
Cette première fonction nourrit en informations les autres fonctions stratégiques. Chacune de ces fonctions opère avec une appréciation autonome des situations avec des éléments de décisions libres et souveraines. Ces cinq fonctions doivent s’adapter à des toutes les formes de conflits ou des menaces afin d'affronter les défis en matière de renseignement et d'actions.
Les services qui structurent la communauté du renseignement fonctionnent en parallèle et en étroite collaboration, avec plusieurs niveaux de partage d'informations :
- Les services spécialisés de Renseignement sont la Direction Générale de la Sécurité Extérieure (DGSE),
- La Direction Générale de la Sécurité Intérieure (DGSI), la Direction du Renseignement Militaire (DRM),
- La Direction du Renseignement et de la Sécurité de la Défense (DRSD),
- La Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières (DNRED)
- Le Service de Traitement du Renseignement et d’Action contre les Circuits Financiers clandestins (TRACFIN).
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