Privé de bois précieux, le fabricant de guitare Gibson se tourne vers le "music lifestyle"

Après la saisie en 2012 de bois précieux de Madagascar et de l'Inde dans ses stocks, Gibson s'est muée en créant des produits dans le "music lifestyle". 


Par Tsirisoa Rakotondravoavy | Journal de l'Economie  


LOS ANGELES- 22/07/2017 - C'est un virage stratégique que Juszkiewicz a fait prendre au célèbre fabricant de guitares Gibson depuis qu'il a racheté l'entreprise en 1986. Ce nouvel actionnaire a fait basculer progressivement Gibson en une marque de "music lifestyle". D'autant que les marques Gibson Brands ont souffert d'un déficit d'image après la condamnation pour importation de bois précieux de Madagascar et de l'Inde entre 2009 et 2011. La nouvelle stratégie de Gibson se résume en trois orientations : une expansion rapide, une grande boutique (flagship) prévue à Hollywood et une mutation irréversible vers les nouvelles technologies. Aux yeux du marché, cette stratégie a rencontré un scepticisme général et des défis juridiques en interne. Mais aucun de ces obstacles n'a altéré les ambitions de Henry Juszkiewicz de devenir, à son avis, une marque à égalité avec Nike dans son domaine.


Cette approche agressive est nécessaire pour des sociétés de renommée comme Gibson, Fender Musical Instruments et C.F. Martin & Co. confrontées à une réelle problématique : les plus grands succès d'aujourd'hui sont souvent le résultat de productions de studios suréquipés en logiciels, contrairement aux années 1960, du temps des dieux du rock tels que Jimi Hendrix, Eric Clapton, Jeff Beck, Jimmy Page, et des groupes comme les Beatles, les Rolling Stones et d'autres, qui étaient centrés sur leur instrument de prédilection : la guitare.

Face à ce défi, Juszkiewicz a, depuis le milieu des années 1980, entrepris une mission de relancer la marque Gibson, qui génère aujourd'hui environ 3 milliards de dollars de chiffre d'affaires annuel.

À cette époque, il était contre l'investissement dans les claviers électroniques, les synthétiseurs et les séquenceurs programmés qui étaient très prisés dans la musique pop des années 80. Il a en partie maintenu la marque Gibson éloignée de cette tendance électronique en mettant l'accent sur l'icône des guitares, la gamme Les Paul, et a créé une délimitation claire entre Gibson et sa filiale Epiphone, marquant la vague grunge qui a aidé à ramener les guitares à la mode dans les années 1990.

Après avoir obtenu un MBA à Harvard tout en travaillant pour General Motors, Juszkiewicz a combiné son éducation scolaire avec une passion pour la musique rock quand il a pris les rênes chez Gibson. Le grand plan de Juszkiewicz pour Gibson remonte au début de son achat de l'entreprise : "faire de la musique ce que Nike a fait dans le monde des sports".

Le dernier slogan commercial de l'entreprise, "Lire. Enregistrer. Écouter", reflète l'objectif de Juszkiewicz, celui de planter le drapeau Gibson dans partout dans l'univers contemporain du "music lifestyle".

Au cours des dernières années, Gibson Guitars s'est transformée en Gibson Brands, la société mère d'une gamme croissante de fabricants d'instruments, d'appareils d'enregistrement, de matériel de lecture, de logiciels de studio et d'autres produits électroniques grand public. La société dispose maintenant d'une division guitare acoustique à Bozeman, dans le Montana, une autre usine de guitare électrique à Memphis, Tennessee, et une installation de recherches et développement dans la technologie numérique à Cupertino, en Californie. Juszkiewicz a également saisi l'ancien site de Tower Records à West Hollywood avec l'intention de le développer dans une salle d'exposition de nouveaux produits.

La plus grande acquisition de Gibson était l'achat en 2014 de la division audio de Philips, filiale de la Royal Philips, une société âgée de 126 ans. Cette entreprise d'électronique grand public qui, avec Sony, a contribué au développement de l'audiocassette, du CD, des formats de DVD et Blu-ray. "La principale question que nous nous sommes posés à ce sujet est : comment la guitare aura-t-elle le même succès ? (comparée à ces produits grand public). Si nous ne nous considérons pas comme une société spécialisée en guitare, nous nous positionnons comme une société de music lifestyle", a tranché Juszkiewicz. L'accord entre Philips et Gibson a été considéré comme un grand pas vers cette orientation. Mais cela a pesé sur les finances de Gibson.

"Nous avons triplé la taille de notre entreprise", a déclaré Juszkiewicz. "Cela a été un défi. Mais je pensais que c'était une opportunité unique que je ne pouvais pas laisser passer ". Il a retardé le développement du site de Sunset Boulevard, à Hollywood bien que Juszkiewicz ait déclaré qu'il s'attendait à ce que le projet soit à un stade avancé cette année. Il a prévu un investissement de l'ordre de 135 millions de dollars. Les hésitations sur cet investissement se sont poursuivies jusqu'en 2015 et en 2016. Les sociétés de notation de Moody's et Standard & Poor's ont abaissé le classement financier de la société. Mais vers la fin de l'année dernière, les choses ont commencé à se retourner.

"Gibson a réussi à renflouer ses finances. Ca aide", a déclaré Kevin Cassidy, analyste crédit de Moody's, qui n'a pas reconduit l'évaluation à haut risque du titre Gibson en août 2016. Chaque année, plus d'un demi-million de guitares de la gamme Les Paul sortent de l'usine principale de 12.900 mètres carrés à l'extérieur du centre-ville de Nashville. des boutiques personnalisées, de la division Epiphone et d'autres usines de la société. 

En plus de toutes les complexités de la fabrication des guitares Gibson, Juszkiewicz doit tenier en compte d'une multitude d'autres problèmes qui affectent ses marques. Comme sur le plan juridique où Gibson a été accusé dans le cadre d'une enquête criminelle en violation de la loi fédérale Lacey Act avec des importations entre 2009 et 2011 de bois de rose, de bois d'ébène et de palissandre de Madagascar et de l'Inde pour fabriquer ses guitares.

Gibson a payé une amende de 300.000 dollars et a renoncé à réclamer plus de 250.000 dollars de bois saisis par le gouvernement américain. Juszkiewicz a accepté de faire cette concession, bien qu'il considère certaines réglementations du gouvernement comme excessives pour le climat des affaires.

Cette affaire de saisie des matières premières de Gibson, suivie de la contrainte financière sur l'acquisition de Philips, a entraîné une dégradation momentanée de l'image de la célèbre société.

"Nous avons eu une période très difficile. Maintenant, les choses se sont améliorées et nous avons encore des objectifs très ambitieux. Mon travail consiste à permettre aux amateurs de musiques de passer un bon moment. La musique est une chose merveilleuse et nous ne devrions jamais perdre de vue cela", a conclu Henry Juszkiewic.

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