Russie : 24 pays d'Afrique se sont abstenus à sa condamnation, l'enjeu d'une amitié et d'intérêts assumés


Le conflit en Ukraine, déclenché par les opérations militaires menées par la Russie, a mis à nu un nouveau rapport géopolitique mondial. L'ancien face à face entre le bloc Ouest et Est, qui s'est redessiné depuis 2014, tend à se reconfirmer. L'Afrique, beaucoup plus vindicative que jamais sur les blessures coloniales laissées par les européens, globalise sa manière d'appréhender la diplomatie contemporaine, surtout après le refoulement de ses ressortissants fuyant l'Ukraine pour la frontière de l'Europe.

Si la Russie avance ses pions dans les économies africaines, grâce à ses vassaux comme les groupes énergétique Rusal, Rosatom, Lukoil, Gazprom ou Rosneft, elle n'a pas oublié les enseignements du passé à l'image de la chute de l'URSS et ses conséquences sur ses intérêts en Afrique. Désormais, l'Occident voit, à tort ou à raison, les milices de Wagner dans tous les pays où son contrôle politique s'affaiblit. 

Energie, mines, vente d'armes, vente de blé russe, financement politique, ... La Russie semble avoir mis la main sur des secteurs qui obligent l'Afrique à faire son choix du partenaire qui l'accompagne dans la croissance économique déjà enclenchée vers 2010. Mais ce choix n'est offert sans condition car il faut savoir que les échanges économique entre l'Afrique et la Russie en 2019, avant la pandémie, se chiffrent à 20 milliards de dollars, très loin derrière l'Europe à 225 milliards de dollars et la Chine à 210 milliards de dollars.

Résolution de l'ONU et sanctions contre la Russie : tribune d'expression pour l'Afrique

Les Nations Unies ont adopté une résolution condamnant la Russie sur son acte d'agression sur l'Ukraine : 
- Pays votant pour : 141
- Pays votant contre : 5 (Corée du Nord, Syrie, l'Érythrée, Biélorussie et Russie). 
- Abstention : 34 dont 16 pays d'Afrique. A ce nombre, il faut inclure les pays qui n'ont pas participé au vote, compté comme une abstention cachée. Ces derniers sont au nombre de 13, parmi eux, 8 pays africains. 

Au total, 24 pays d'Afrique sur 54 n'ont pas condamné la Russie et l'Erythrée a voté ouvertement contre, ce qui donne près de la moitié du continent. Le vote à l'ONU est ainsi devenu une tribune d'expression pour l'Afrique sur la désormais "problématique Russie" pour les occidentaux.

Sur les sanctions prononcées, notamment par l'Union européenne et les Etats-Unis, il faut en effet savoir que des intérêts de l'Afrique sont entrés en jeu. L'on ne peut pas nier le rôle de la Russie, pourtant démenti par son président Vladimir Poutine, sur les nouvelles orientations géopolitiques de plusieurs pays d'Afrique, comme la Centrafrique, le Mali, la Guinée, le Burkina Faso, ...

Il est également à tenir en compte la rancune coloniale, certes en pleine réparation par la France et la Grande Bretagne, à travers des restitutions d'objets historiques pillés pendant la colonisation, mais qui a ravivé le sentiment antioccidental, habilement récupéré par la Russie.

Enjeux économiques

Blé, gaz, pétrole, mines, armes, ... Voici une énumération, non exhaustive, des échanges entre l'Afrique et la Russie, illustrant l'intérêt des africains à ne pas se mettre à dos le pays de Poutine. 

Blé russe

Le blé russe constitue les trois quart de l'importation de blé en Egypte, et grande quantité par l'Algérie qui est en froid avec la France, mais aussi par le Nigeria, la Tanzanie, le Kenya, l'Afrique du Sud et le Soudan. Le blé, objet d'une spéculation croissante, a toujours été l'arme de la Russie, même en dehors de l'Afrique, le pays étant le premier exportateur mondial.

Gaz, pétrole, or, produits miniers : intérêts communs

Rosneft, Lukoil, Alrosa, Rusal, Gazprom, Nordgold, ... Plusieurs groupes industriels russes sont présents en Afrique, certes pour des volumes d'affaires relativement limités dans le pétrole, le gaz, l'or et les produits miniers. Mais ces unités sont appelées à grossir et à appuyer financièrement, et indirectement, des gouvernements "amis" sur le continent africain. 

Il faut également prendre en compte l'intérêt des pays comme l'Algérie ou le Nigéria dans leur possibilité de livrer du gaz et du pétrole en Europe en remplaçant le gaz russe frappé par les sanctions européenne.

Armes et aides militaires

En moins de dix ans, la Russie est devenue la bête noire des occidentaux en Afrique. Mercenaires, aides militaires officieuses, appuis logistiques et financières aux élections, ... Tout est bon à prendre sur le continent meurtri par la pauvreté et les guerres intestines post-coloniales. Et la Russie s'est engouffrée dans la brèche, délaissée par une Europe trop occupée par sa consolidation après la chute de l'URSS. La Russie a fourni 30% des armes achetées par les pays d'Afrique subsaharienne depuis 2016. 

Très actifs en Libye, au Soudan, au Mozambique, en Centrafrique et au Mali, les hommes de Wagner ont acquis l'expérience du terrain, là où les forces officielles comme Barkhane ont échoué. 

Des officines de propagande à l'aide d'une force de frappe numérique ont également aidé bon nombre d'actuels présidents en Afrique à accéder au pouvoir tout en faisant oublier leurs concurrents, désormais persona non grata dans leurs propres pays. 

Bien évidemment, les russes sont à l'affut des prochaines élections africaines dans les mois et les années à venir, pour faire avancer leur influence et leur business. 

Enregistrer un commentaire

0 Commentaires