L'Afrique du Sud et ses voisins étaient au centre d'une lutte d'influence la semaine dernière lors de la visite de hauts responsables russes et américains à Prétoria, offrant un rare moment de levier aux gouvernements d'une Afrique plus habituée à être secoué par les événements qu'à être courtisé par les grandes puissances.
Avec une guerre en Europe opposant les forces russes à l'armée ukrainienne approvisionnée en armes occidentales, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et la secrétaire au Trésor américaine Janet Yellen se sont mis tous les deux en avant à la recherche d'un soutien international plus élargi.
Pour les pays d'Afrique australe, qui entretiennent de fortes sympathies idéologiques et historiques avec la Russie mais détiennent des balances commerciales beaucoup plus importantes avec l'Union européenne et les États-Unis, la rivalité russo-américaine représente une opportunité.
"Ils ont la possibilité de jouer les uns contre les autres pour obtenir des concessions, pour obtenir plus d'aide, plus de commerce. C'est précisément ce que nous voyons en ce moment", a déclaré Steven Gruzd de l'Institut sud-africain des affaires internationales.
La guerre en Ukraine a intensifié la concurrence de longue date entre les grandes puissances pour l'accès aux abondantes ressources naturelles de l'Afrique et l'apport diplomatique de ses 54 votes à l'ONU. Mais la disparité de l'Afrique aux Nations Unies montre un continent divisé sur le côté à soutenir dans la guerre de l'Ukraine.
Enclavé entre l'Afrique du Sud et le Mozambique et avec un produit intérieur brut de moins de 5 milliards de dollars, le petit royaume d'Eswatini n'attire pas souvent l'attention des puissances mondiales. Aucun diplomate russe n'y est basé. Néanmoins, Lavrov y a fait un détour après avoir visité l'Afrique du Sud. Ce que son homologue de l'Eswatini, Thulisile Dladla, a qualifié de "profond honneur". Les deux parties ont signé un accord de dispense de visa.
L'Eswatini compte également sur les États-Unis pour des aides, mais sa monarchie a subi les critiques américaines sur les droits de l'homme.
Multipolaire
Pour l'Afrique du Sud, locomotive économique et poids lourd diplomatique de l'Afrique, c'était l'occasion de faire un pied de nez à une alliance occidentale qu'elle considère comme trop autoritaire et hégémonique. Recevant Lavrov à Pretoria, son homologue Naledi Pandor (photo à la une) a défendu les exercices militaires conjoints prévus avec la Russie et la Chine comme un "cours naturel des relations" entre "amis", et a laissé entendre que l'Afrique du Sud ne croyait plus "que la Russie devrait se retirer de l'Ukraine, à moins d'un accord de paix".
L'Afrique du Sud, aux côtés de la Russie et de la Chine, milite pour un monde "multipolaire" dans lequel le pouvoir géopolitique est moins concentré autour des États-Unis. Pour cette raison, ce pays est un partisan enthousiaste d'une alliance politique et commerciale entre le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et lui-même (BRICS), pour laquelle il organisera un sommet plus tard cette année.
"Un monde multipolaire plus inclusif. C'est la vision de la famille BRICS, vision à laquelle nous souscrivons tous", a déclaré Anil Sooklal, responsable sud-africain en charge des BRICS.
Mais les exportations de l'Afrique du Sud vers la Russie étaient de 587 millions de dollars en 2020, tandis que celles vers les États-Unis la même année étaient de 10,2 milliards de dollars, selon les données de l'Observatoire de la complexité économique (OEC).
L'Afrique du Sud prend les BRICS très au sérieux, mais la réalité est que les BRICS ont offert très peu d'opportunités. "Cela n'a pas apporté le genre d'avantages que l'Afrique du Sud espérait obtenir", a déclaré Tom Lodge, professeur d'études sur la paix et les conflits à l'Université de Limerick.
"La Chine, alliée de la Russie, un partenaire commercial majeur, s'intéresse davantage aux produits de base comme le vin et la laine qu'aux produits de haute technologie à valeur ajoutée que l'Afrique du Sud souhaite vendre", a rajouté Tom Lodge, appuyant que "les États-Unis offrent de meilleures opportunités commerciales".
Pourtant, malgré le refus de l'Afrique du Sud de voter contre la Russie à l'ONU et son rejet de la position de l'OTAN sur l'Ukraine, Janet Yellen (photo) a rencontré des responsables sud-africains et a visité des sites miniers qui risquent de perdre des emplois à cause de la transition vers l'énergie verte, dont les États-Unis sont un bailleur de fonds majeur.
Alors que la classe politique vieillissante de l'Angola se souvient encore du soutien de la Russie à son Mouvement populaire marxiste pour la libération de l'Angola (MPLA) pendant la guerre civile de 27 ans contre les rebelles soutenus par Washington, il y a eu un virage marqué vers l'Occident depuis que le président João Lourenço a pris le relais en 2017.
"L'Angola est l'un des rares pays africains à condamner les actions de la Russie, apparemment sous la pression de l'UE", a déclaré l'analyste sud-africaine des risques politiques, Marisa Lourenco, notant "un fort pivot vers les États-Unis et loin de la Russie".
"L'Angola cherche également à approfondir ses liens avec l'Allemagne, la France et son ancien colon, le Portugal", a-t-elle rajouté. Marisa Lourenço a même suggéré dans une interview à Voice of America en décembre 2022 que l'Angola aimerait en finir avec l'aide militaire russe au profit d'un programme d'équipement militaire américain.
Cela n'a pas empêché Lavrov de faire une visite de courtoisie à Luanda, où il a proposé de doubler les bourses universitaires aux étudiants angolais, à 300 en 2024, dans le plus pur exercice russe du soft power. Il faut savoir que le groupe russe Alrosa, premier producteur mondial de diamants, détient une participation de 41% dans une immense mine angolaise.
"Les Russes veulent dire très haut qu'ils ne sont pas isolés et qu'ils sont les bienvenus partout. L'Afrique australe ne sera pas appréciée par les États-Unis ni par les Britanniques, mais cela ne signifie pas qu'ils cesseront les activités de commerce avec la région. C'est trop important pour eux", a conclu Marisa Lourenco.
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